LR : Chère Evelyne, je suis sincèrement enchantée de pouvoir faire ta connaissance. Je me suis dite, peut être que ce serait plus intéressant pour notre échange si nous avions vraiment des dialogues. Comme cela, tu pourras aussi me poser des questions.
Mais avant tout, peut être devrais-je me présenter en quelques phrases : Je m’appelle Lalaina Rajaonah, j’ai 40 ans et je suis mariée. Nous avons deux enfants (un garçon de 15 ans et une fille de 9 ans). Pasteure de paroisse à la campagne, je suis au service de l’Eglise depuis 2014 et j’ai été consacrée en 2018.
Peux-tu me donner un petit résumé de ta biographie ? Et par la suite, j’ai lu dans ton introduction sur le site de Tsena Malalaka, que tu exerces la fonction pastorale. Peux-tu me partager l’histoire de ton appel ? Comment as-tu entendu l’appel pour notre Ministère ?
EZ : Je suis née à Bâle en 1989 à une mère pasteure et un père vétérinaire. De 1990 à 1998, nous avons vécu en Gambie et en Côte d'Ivoire où mon père a fait de la recherche en parasitologie et en santé animale. Je suis l'aînée de quatre sœurs qui sont nées dans ces années. En 1998, le contrat de mon père s'est terminé et nous avons déménagé à Bâle, en Suisse, où j'ai suivi le reste de ma scolarité. Le déménagement a été douloureux pour moi et je me suis sentie très dépaysée. Cela a été une expérience marquante aussi pour mon trajet théologique. Pour mon mémoire de Bachelor et aussi pour le livre « Nous avons un désir » de Tsena Malalaka, j'ai écrit deux études sur le rapport entre la migration et la foi.
Comme les deux familles d'origine de mes parents étaient chrétiennes, j'ai été éduquée dans la foi chrétienne dès le début. La prière avant le repas et le chant de cantiques faisaient partie de ma vie d'enfance. Mais pour le reste, j'ai longtemps refusé la foi, pour une grande partie je pense parce que je voulais être indépendante de mes parents.
Lorsque je suis arrivée à l'adolescence, j'ai refusé la confirmation après avoir suivi le cours de catéchisme à l'Eglise française de Bâle, Eglise qui nous a accueillis à notre retour d'Afrique et où je suis maintenant pasteure dans mon premier ministère ! Pour ma part, il s’agissait dans ce refus de la confirmation plutôt de vivre « ma propre volonté » qu’une affirmation de (manque de) foi…
Après cela, j’ai fait une grande réflexion et suis aboutie à la décision de me confirmer une année plus tard. J’ai beaucoup réfléchi sur la nécessité́ de la religion dans le monde et je me suis rendue compte que la religion fait partie intégrale de l’humanité́. C’est là le moment où je me suis détournée de l’athéisme, parce que je me suis rendue compte qu’en se détournant de la religion, on ne gagne pas une perspective nouvelle, mais on perd au contraire une perspective importante sur la vie, et aussi un moyen d’être en dialogue avec les autres humains, qu’ils partagent ou non ma propre religion.
J’ai pris à peu près en même temps la décision d’étudier la théologie, en me disant que puisque ce thème ne me lâchait pas, je voulais l’étudier en profondeur. J’étais aussi attirée par les langues anciennes, et par le grand âge de la Bible. Il faut dire que mon grand-père maternel était lui aussi pasteur et professeur d’Ancien Testament, ce qui a peut-être aussi encouragé mon affinité pour la Bible.
En 2008 j'ai terminé l'école avec le baccalauréat et je suis allée pour deux ans en Chine pour approfondir mes connaissances de chinois à Pékin. J'avais commencé des cours de chinois à l'école déjà. J'ai fait connaissance de quelques différentes Eglises protestantes et catholiques, chinoises et allemandes en Chine, ce qui a été très intéressant. En 2010, j’ai commencé mes études de théologie à Zurich. J’ai étudié à Zurich, Bâle et Berne jusqu’en été 2017, en travaillant comme interprète pour des thérapeutes chinois en Suisse, comme assistante à un artiste et comme assistante de la directrice de Mission 21, la mission protestante de Bâle lors de son 200ème jubilé.
Pendant les études, j’ai découvert la théologie féministe grâce aux livres de Marga Bührig, une théologienne très importante pour le mouvement des femmes dans les Eglises en Suisse, et qui vivait ensemble avec deux femmes (Else Kähler, qui a étudié les textes pauliniens et la signification de la subordination de la femme, et Elsi Arnold, qui avait environ 15 ans de moins que les deux autres et qui est décédée le 21 juin 2020). C’est entre autres sur ces femmes que j’ai écrit mon mémoire de Master qui paraîtra comme livre cet automne.
J’ai particulièrement étudié la manière dont les femmes théologiennes non-mariées ont trouvé un nouveau regard sur leur existence comme femmes pleinement femmes, dans les années 1950 en Suisse, un temps où l’on ne comptait comme « vraie femme » que lorsqu’on était mariée et avait des enfants. En effet, dans ce temps, la femme devait aussi quitter son travail lorsqu’elle se mariait, parce que l’on disait qu’elle ne serait pas capable de travailler et maintenir un foyer en même temps (ce qui était bien sûr impossible, vu qu’il n’existait presque aucun soutien du côté de la société́). Et toute cette situation était encore marquée du fait que le suffrage féminin n’était pas encore introduit (ce n’est qu’en 1971 que la Suisse l’introduisit), ce qui diminuait encore davantage la possibilité́ des femmes d’élever leur voix en public.
Depuis 2018, je suis pasteure de l’Eglise française à Bâle, une paroisse multiculturelle avec des membres africains et européens. Je travaille à mi-temps, avec un collègue qui a un poste de 80%. Pour moi, c’est une bonne situation, parce que ça me permet d’entrer lentement dans le ministère, avec assez de temps pour m’occuper de notre fils Tristan qui a rejoint mon mari Cedric et moi en mai 2019 et qui nous donne beaucoup de bonheur.
LR : Donc, te considérais-tu comme athée avant ? Tu as dit : « En se détournant de la religion, on ne gagne pas une perspective nouvelle, mais on perd au contraire une perspective importante sur la vie ». Pourrais-tu aussi développer un peu plus ton point de vue ?
EZ : Non, je ne me considérais pas (ou pas très longtemps) comme athée, mais je m’intéressais pour les perspectives agnostiques. D'une part parce qu'elles sont très répandues dans la philosophie occidentale et d'autre part parce que je cherchais une perspective individuelle sur le monde qui n'était pas marquée par ce que me transmettaient mes parents...
Pour finir, j'ai bien sûr suivi l'exemple de mes parents de vivre dans la foi chrétienne. Et je suis de plus en plus convaincue – à partir de mon expérience personnelle – que nos perspectives individuelles sur la vie sont très influencées par ce que nous vivons et ce que nous apprenons des personnes qui nous sont proches. Nous sommes des êtres communautaires et la Bible nous enseigne toute la profondeur de cette réalité : Nous avons besoin de communauté avec les humains, la nature, les animaux, et surtout avec Dieu...
Les personnes qui n'apprennent rien de la religion perdent à mon avis une voie essentielle de compréhension et d'expression de l'existence humaine. En tant que chrétienne, je suis aussi capable d'entrer en dialogue avec une personne d'une autre religion, même si nous n'avons pas de points communs dans notre manière de la vivre. Si j'étais athée et niais complètement toute importance de vie religieuse, je ne serais pas de même manière capable au dialogue.
Voici mes idées sur l’athéisme.
LR : Comment est-ce que tu vis ta relation personnelle avec Jésus Christ ?
EZ : Dans ma relation avec le Christ, ce que j'essaye de faire c'est de la vivre dans la vie quotidienne. Donc d’apercevoir dans les gens que je rencontre et dans les choses que je vie un don de Lui. J'essaye de comprendre ce qu'Il veut m'enseigner avec les enjeux, les difficultés, mais aussi les moments de grâce et de joie, et d'aller à la rencontre d'autres gens dans la lumière de son amour. J'essaye de prier pour ainsi dire continuellement, et de m'ouvrir à la sainteté de chaque moment. Tout cela sonne un peu exalté, mais en fait ce que j'essaye de vivre, c'est une sorte de "pure présence" (même si cela ne "réussit" pas toujours, surtout quand ma faiblesse, mon orgueil, mon impatience sont touchés... ce qui arrive bien souvent...). Voilà en quelques courtes phrases... pourrais-je demander aussi de ton côté, comment tu vis ta relation personnelle avec le Christ ?
LR : Pour ce qui concerne ma relation avec le Christ, nous sommes un peu pareilles. Avoir « une relation personnelle », discuter et écouter, partager tout... voilà ce que j’aimerai encore et encore approfondir. C’est un challenge car avec le rythme et certaines priorités, souvent, il n’est pas évident de maintenir ton « instant/moment intime » avec Lui (j’essaie comme je peux de respecter cet instant : tôt le matin, à mon réveil, prière et études simples du Pain de vie du jour). Tout au long de la journée, ma conviction est qu’Il est toujours avec moi, je Lui parle etc... Je suis très sensible à la Providence Divine, ce sujet m’intéresse énormément aussi. Ainsi que celui de la Prédestination, du sens de la vie et de ma Mission « SUR TERRE ». Je vis pour une Mission, et je suis encore en pleine exploration et préparation... J’essaie au jour le jour d’écouter les instructions et directives pour parvenir à connaitre exactement et à achever cette mission.
Maintenant, j’ai une autre question : Les contextes en Europe et en Afrique sont différents sur le plan spirituel mais aussi chrétien. Comment vois-tu ou vis-tu ta mission face à ce contexte assez difficile en Europe quant à sa façon de comprendre la Foi chrétienne ?
EZ : C'est une question intéressante. Merci. Dernièrement, les paroles sur le « sel de la terre » et « il doit croître, et moi, diminuer » (Ev. de Jean) me parlent vis-à-vis de cette question. Peut-être que c'est défaitiste, parce que je ne pense pas que de croître en nombres est la première tâche de l'église dans tous les lieux.
Dans le contexte européen, nous avons une longue histoire de christianisme « obligatoire pour tout le monde ». La liberté de la religion signifie donc une liberté de choix de vision du monde pour les gens en Europe. Une attitude négative envers toutes les institutions accompagne cette soif de liberté. Bien sûr, cette forme de liberté est pour moi une liberté très superficielle parce que peu de gens prennent en compte que nos églises sont toujours des réseaux de solidarité et des forces d'intégration de la société. En quittant les églises, ils affaiblissent aussi cette institution qui contribue au fond à la démocratie et donc à l'égalité dans la société. Dans la critique de tout ce qui est communautaire, on arrive à une "liberté" très individualiste et égoïste. Mais ce n’est rien de nouveau. Cette diminution de l'Eglise dans l’Europe est instoppable – beaucoup de recherches sociologiques ont, en effet, déjà montré que l'église telle qu'elle existe maintenant n'existera plus très longtemps. Et moi je pense que d'une certaine manière, cette diminution même est ce que Dieu veut montrer aux gens en Europe : dans ces régions si riches, si libérales, les gens oublient que leurs vies ne sont pas dans leurs propres mains, et qu'une bonne vie n'est pas forcément une vie où l'on n'a que fait ce que l'on voulait, et comblé tous ces désirs de consommation. Donc d'avoir cette église qui « meurt » peut peut-être servir aux gens de « memento mori ». Et d'un autre côté, je pense que la diminution est aussi bonne pour nos églises, qui elles aussi avait si longtemps eu un énorme pouvoir dans les sociétés européennes, comme on peut l'apercevoir aux énormes bâtiments historiques. D’avoir tant de pouvoir terrestre n'est pas seulement bon pour l'église. Pour répandre le goût du royaume céleste dans le monde, il ne faut qu'un peu de sel. En effet, trop de sel gâcherait le goût ! pour être « sel de la terre », la quantité n'est donc pas le premier critère.
Voilà ce que je pense de la mission en Europe au niveau des églises. Dans l'évangélisation personnelle je pense qu'il est surtout important de montrer une attitude d'ouverture et de respect à l'autre et à son histoire. De cette manière, l'on montre le plus directement une attitude chrétienne.
Comment ces réflexions sonnent-elles à tes oreilles ? Te semblent-elles très défaitistes ?
LR : Oui, concernant le contexte actuel en Europe et ta vision des choses, je comprends. Non, je ne dirai pas defaitiste mais peut-être plus réaliste ? Oh moi, tu sais, je ne suis qu’à mon 1er mois de découverte de ce qu’est l’Europe notamment la Suisse. Il est toujours utile de vivre et de voir par soi-même pour essayer de comprendre. Mais en attendant, J’ai déjà une autre vision, puisque je viens d’un pays où le christianisme est encore et toujours d’actualité et est dans la vie quotidienne de plusieurs citoyens. Nous faisons parties des rares pays ou le christianisme est encore au centre... Et voir cette façon de vivre et de penser, ce besoin de liberté affecter certains Malagasy en Europe me peinent un peu : un réel besoin de liberté par rapport à Dieu Lui-même, vouloir avoir plus d’autonomie et essayer par tous les moyens de mettre de côté tout ce qui pourrait affecter et par conséquent barrer le chemin pour que ce besoin puisse être satisfait (comme l’Eglise et ses enseignements...) etc. J’ai eu l’occasion de visiter quelques familles en France. Et cela m’a fait un choc d’entendre « la Bible n’a pas d’autorité puisque écrit par des hommes ». ... Je ne suis pas entrée dans le débat car j’étais abasourdie (je n’aurai jamais pensé pouvoir un de ces jours assister à cela dans ma famille). Je me suis demandée ce qui a changé... Et ma réponse a été : « vivre en Europe, ils ont changé de communauté ». Peut-être qu’ils n’ont pas reçu une éducation biblique en tant que tel ou quelque chose de ce genre, mais de là à dire que la bible ne provient pas de Dieu est « assez intéressant »… La communauté peut façonner notre vision des choses… L’évolution, la modernisation… Etant en période postmodernité, il est vrai que cela ne devrait pas m’étonner. Mais là ... Quand tu entends ta famille dire cela et discuter de cela... tu te dis... « hum qu’est ce qui se passe là » Sincèrement.
Notre échange s’arrête là à cause de nos engagements dans les études et dans le travail. Nous désirons toutes les deux faire connaissance en personne, ce qui pourrait être possible bientôt, puisque moi, Lalaina, suis à présent des études en théologie en Suisse.